Par Alain DEFERNEZ
La terre de Briffoeil était un fief vassal de
l'importante baronnie de Leuze. Dès le Moyen Age, cette terre rapportait des
revenus appréciables, ce qui explique qu'elle ait appartenu très tôt à des
grandes familles telles les d'Antoing ou les Mérode. On peut supposer qu'une
demeure fortifiée existait déjà sur le site de Briffoeil au XIIème
ou XIIIème siècle, lorsque la terre appartenait à la famille de
Briffoeil. Par la suite, la seigneurie de Briffoeil échut au même siècle à la
puissante famille d'Antoing. Un acte du XVème siècle décrit la terre
de Briffoeil comme comprenant «un chasteau, court,
terre et seigneurie et appartenances et appendances, si comme le gardin sur
quoi la brasserie est assise qu'on dit au Coulombier, dehors le chasteau ou
solloit être la basse-cour, contenant environ un demi bonnier».
Le tracé de l'enceinte fortifiée du château date
probablement du XVème ou XIVème siècle. Il se conforme en
tous cas aux caractéristiques des châteaux-forts de cette époque, tandis que
celui du château de Péruwelz possède plutôt les caractéristiques du XIème
siècle. L'ensemble devait être constitué d'une enceinte fortifiée
quadrangulaire, renforcée de tours de défense à chaque coin et abritant en son
sein aussi bien la ferme seigneuriale avec ses écuries et étables que la maison
seigneuriale et la chapelle. La tour d'angle, seul vestige actuel de la
forteresse féodale, date probablement de cette époque, bien qu'elle ait sans
doute été modifiée ou renforcée par la suite.
Une garnison plus ou moins importante et
probablement affectée à garder la frontière entre le comté de Hainaut
germanique et le Tournaisis, terre de France séjournait dans le château. Ainsi,
en avri1 1404, plusieurs bourgeois de Tournai furent retenus prisonniers au
château de Briffoeil. En représailles, les consaux de Tournai décidèrent qu'on
arrêtera tous ceux de la seigneurie de Briffoeil qui seront trouvés en armes
sur le pouvoir de la ville de Tournai (1)
Si le château de Briffoeil servait de résidence à
une garnison, le seigneur n'y vivait guère. Au XVème siècle, le
château était occupé et administré par un châtelain tandis qu'un bailli
administrait les terres de Wasmes et Briffoeil, propriété de la riche famille
d'Enghien. On cite notamment dans la première moitié du XVème
siècle, Jehan de Fernay comme bailli de Wasmes et Briffoeil pour les d'Enghien,
tandis qu'en 1478, Antoine de Mortagne est châtelain de la forteresse.
À la mort de Charles le Téméraire, Louis XI vint
guerroyer dans nos régions et mena, à partir de Tournai plusieurs raids dans le
Péruwelzis. En juin 1477, le sire de Mouy vint assiéger le château. Le 12 mars
1478, une soixantaine d'Allemands au service des Français, allèrent au château
de Briffoeil tenus par les Bourguignons et essayèrent de se faire ouvrir les
portes. Ces derniers déjouèrent le piège, prirent deux des Allemands qui
étaient allés jusqu'à la porte et Français et Allemands retournèrent à Tournai.
Le 1er mai 1478, les troupes de Louis XI s'emparèrent de la ville de
Condé. Le lendemain, plutôt que d'abandonner la forteresse aux Français, le
châtelain Antoine de Mortagne incendia le château. Des maçons et charpentiers
venus de Tournai achevèrent de démolir les vestiges du château en mai 1478. (3)
Par la suite, la terre de
Briffoeil échoue dans le riche patrimoine des d’Argenteau et des Mérode. Comme
ces riches seigneurs préféraient vivre dans de plus vastes demeures, ils
laissent la gestion de leurs domaines à des baillis. À la fin du XVIème
siècle, Jehan Sauvage est bailli de Briffoeil.
Au XVIIème siècle, la terre de Briffoeil
passe à la riche famille de Gand dit Vilain qui donna deux évêques à Tournai.
Elle dut résider de temps à autre dans le château puisqu'elle fit effectuer des
réparations et des travaux d'entretien dans la forteresse. C'est probablement
cette famille qui fit édifier ou restaurer au XVIIème siècle les
corps de logis, le hangar toujours existant et, avant 1636, la chapelle
Saint-Georges encore visible de nos jours.
Mais le XVIIème siècle est une période
agitée et Mazarin et Louis XIV espèrent prendre possession de notre région. Le
19 septembre 1655, l'armée de Turenne vint camper à Leuze, faisant front à
Condé que menaçaient les troupes du Roi d'Espagne. Le soir, un détachement alla
prendre le château de Briffoeil, qui se rendit le lendemain. Les troupes de
Turenne restèrent encore quelques jours à Leuze, pour faire des fourrages dans
les environs, achever le rasement du château de Briffoeil et attendre
l'infanterie qui était allée en parti (2). La réparation du château occasionna
de nombreux frais. Le 10 juillet 1684, une taille de 12 livres au bonnier fut
assise à Baugnies pour couvrir les dépenses dues à l'entretien de la garnison
du château de Briffoeil. Les destructions de certaines parties du château et
les frais occasionnés expliquent sans doute que les seigneurs résidaient plutôt
à Tournai et faisaient administrer leurs terres par des baillis. En 1687,
François de Launay était bailli de Braffe, Quesnoy, Briffoeil et Wasmes.
Le dernier seigneur de Gand dit Vilain, chanoine à Tournai, attaqué par des créanciers, fut contraint de vendre sa terre de Briffoeil vers 1705, aux Hannecart, riche famille de magistrats tournaisiens issue de la bourgeoisie marchande de Ath. Briffoeil était leur plus importante possession et c'est pourquoi ils en firent leur résidence principale et se firent inhumer dans l'église de Wasmes les Briffoeil.
En mai 1745, lors des préparatifs de la célèbre
bataille de Fontenoy, la vieille demeure servit de quartier général au duc de
Cumberland, environné de ses officiers, du prince de Waldeck et du vieux
maréchal de Königsberg (5).
En 1769, les Hannecart décident de rénover
complètement le château. Les parquets et les lambris sont renouvelés, la
chapelle restaurée (4), le jardin situé devant la porte du château et mentionné
dès 1610, réaménagé.
À la Révolution, les droits féodaux sont
abolis et les biens seigneuriaux confisqués. Les Hannecart
émigrent pour ne plus revenir à Briffoeil. Le château est délaissé. En
1820, à la mort de Mme Desandrouin, veuve de Jacques Philippe Albert Hannecart,
décédés sans postérité, il passe avec ses dépendances au frère aîné mort
célibataire et ruiné à Paris. Mme veuve Lemaire acquiert alors le site.
Remariée avec M. Van Lemberghe, elle eut une fille qui épousa le comte de
Cornudez, pair de France; Cette famille n'a jamais visité le domaine de
Briffoeil, administré parle notaire Lehon d'Antoing. Mais si le domaine était
géré, le château inhabité, se délabrait. En 1867, Ch. D. Vincent décrit le site
de Briffoeil et signale le piteux état de l'intérieur du château.
Le 20 juin 1868, une société constituée par MM
d'Anstaing, Dugnolle, Simon, Duchateau et Leman acheta le domaine avec 210 ha
de terres pour 1.420.050 F (4) et le revendit à un groupe d'investisseurs. Le 2
juin 1869, les matériaux du château sont mis en vente publique pour démolition.
L'encart publicitaire cite les remparts et les murs en grès, la charpente en
chêne, les lambris sculptés des salons et les cheminées en marbre ainsi que le
tournebroche géant conservé dans la cuisine du château. Une ancienne
photographie permet de voir à la fin du XIXème siècle, l'état des
bâtiments d'habitation.
Rasée à la fin du XIXème siècle, la
vieille demeure ne présente de nos jours que la tour médiévale, vestige de la
forteresse du Moyen Âge, le hangar à carrosses, vestige du XVIIème
siècle, et la remarquable chapelle. Bien que modifié, le bâtiment d'entrée
protégeant la porte du château sert encore d 'habitation. Il y a quelques
dizaines d'années, on pouvait encore remarquer le tracé des jardins situés
devant l'entrée du château. Ce jardin était connu des habitants sous le nom
fort curieux de «labyrinthe».
On peut encore, en parcourant le site, s'imaginer le tracé de ce château qui fut l'une des plus importantes forteresses médiévales du Péruwelzis avec les châteaux du Biez à Wiers et de Condé-sur-Escaut. Des fouilles archéologiques permettront peut-être d'en retrouver des vestiges ou de redécouvrir les souterrains courant sous la cour et évoqués par l'abbé Petit
KAJDANSKI
Dimitri, Archéologie en Péruwelzis, Cercle d'histoire et d'Archéologie
des deux Vernes, Péruwelz, 1997.
(1) Mémoires de la Société
d’histoire de Tournay, Torne VII, p 60.
(2) OUVERLEAUX Emile, Notice
historique et topographique sur Leuze, p. 263.
(3) DEFERNEZ Alain, Les
troubles dans la région de Condé à la mort de Charles le Téméraire, Revue
du Cercle d'Histoire et d'Archéologie des deux Vernes
(4) PETIT L. A. J.,
Histoire civile et religieuse des communes du canton de Péruwelz, Dequesne
Masquillier, Mons, 1875.
(5) TRIPNAUX AIain, Fontenoy,
la bataille, t. second, le
Combat" ASBL le Tricorne, 1995.
(6)
GORLIA, Histoire de Braffe.
A Corps d'entrée (encore existant de nos jours)
B Châtelet d'entrée (probablement rasé au XVIIème)
C Tour d'angle arasée au XVIIème ou au XVIIIème
D Tour (visible vers 1860 sur le dessin de Vasseur)
E Tour d'angle (encore existante de nos jours)
F Tour d'angle arasée au XVIIème ou au XVIIIème
G Extension du corps de logis édifiée au XVIIème
H Tour d'angle
arasée avec pavillon circulaire
I Corps de logis
principal (rasé vers 1868-1900)
J Corps de logis secondaire (rasé vers 1868-1900)
K Chapelle Saint-Georges (encore visible de nos jours)
L Hangar à chariots (existant actuellement, en ruines)
M Communs (écuries, logements domestiques)
Le plan permet de voir la situation du château au
milieu du XIXème siècle. La plupart des tours sont arasées à l'exception
des tours D et E. La tour d'angle H a été rasée et un pavillon circulaire a été
édifié sur ses fondations probablement au milieu du XVIIIème siècle.
Il ne reste que fort peu de traces du châtelet d'entrée qui a probablement été
rasé au milieu du XVIIème siècle. On peut voir l'emplacement de
l'extension du corps de logis édifiée au milieu du XVIIème siècle et
visible sur un dessin de l'architecte Vincent. Si le hangar existe encore, le
reste des communs (M) comprenant probablement les écuries, les logements des
domestiques, a été rasé vers 1868-1900.
Cette vue, se basant sur une aquarelle contenue dans
les albums des ducs de Croy, permet d'avoir une idée de l'ensemble féodal que
constituait le château de Briffoeil. Le châtelet d'entrée est encore visible
(plan en B). Par la suite, ce châtelet fut probablement rasé au milieu
du XVIIème siècle. On peut se faire une idée de l'importance et de
la taille de ce châtelet en allant voir le châtelet d'entrée du château de
Bitremont à Bury. A côté de ce châtelet, on aperçoit une haute tour surmontée
d'un toit à bulbe. L'emplacement de cette tour n'est pas certain, l'aquarelle
de 1600 ne permet pas de parfaitement la situer. Cette tour fut probablement
rasée au milieu du XVIIème siècle, avec le châtelet d'entrée. A côté
de la tour, se situe le corps de logis comprenant le logement du seigneur. On
peut se faire une idée de la taille de ce corps de logis en regardant la
photographie réalisée au milieu du XIXème siècle. Il est néanmoins
fort probable que ce bâtiment ait été modifié au cours des XVIIème
et XVIIIème siècle. C'est probablement dans le milieu du XVIIème
siècle qu'une aile fut rajoutée perpendiculairement au corps de logis (plan
en G, dessin). La vue permet aussi de se faire une idée de ce
que pouvait être la forteresse féodale au Moyen Age, un vaste quadrilatère
constitué d'une haute muraille renforcée de tours et encerclée par un fossé
rempli d'eau. Toutes les tours étaient couvertes d'un toit. De même, les chemins
de rondes étaient eux aussi couverts d'un toit ( si l’on se fie à la vue
contenue dans les albums des ducs de Croÿ). Au XIXème siècle,
seule la tour d'angle (plan en E) était encore couverte d'un toit
(d'après dessin de Vasseur). Caché derrière le châtelet, devait se trouver un
bâtiment servant à abriter les communs. A ce bâtiment sera adjoint au XVIIème
ou XVIIIème siècle un hangar que l'on peut encore voir de nos jours
sur le site.
Un jardin d'agrément avait été réalisé avant 1600 devant la porte d'entrée
(pas visible sur la vue axonométrique). Le tracé de ce jardin fut
modifié au cours du XVIIIème siècle.
Reconstitution réalisée à
partir d'un dessin de l'architecte Vincent et
d'un autre aimablement
fourni par M. Henri Faux.
A gauche, on peut voir
la façade de l'extension du corps de logis édifiée au milieu du XVIIème
(plan en G).
A droite, on voit un
pavillon de plan circulaire, édifié probablement au XVIIIème siècle
par
les Hannecart sur les fondations
d'une tour d'angle (plan en H).
Ce pavillon est encore visible sur la photographie réalisée au XIXème siècle.
Photographie réalisée vers
1850-1870
Au
premier plan, on peut voir les murs du chemin d'accès de l'enceinte (chemin
menant de A en B).
Au second plan, le corps de logis (plan en I et J). C'est
probablement dans la partie gauche (plan en J) que se trouvaient
les
cuisines avec le tournebroche décrit par Vincent. À l’arrière plan, à
gauche, on peut voir le pavillon circulaire édifié au
XVIIIème siècle (plan en H)
Dessin de Charles
Vasseur montrant le château de Briffoeil vers 1860
Au
premier plan, se trouve la tour d'angle existant encore de nos jours (plan en E).
A gauche, on voit la tour D, sans sa toiture. Entre les deux tours,
on voit la toiture des communs et du hangar.
A
droite de la tour, on aperçoit la masse du corps de logis (plan en I et J)