La participation de la famille SOHIER de Valenciennes (alliée à la famille de FALOISE de Rengies) à l'essor économique de Southampton au XVIème siècle durant la guerre civile aux Pays-Bas

Le 21 décembre 1567 un groupe d'environ 50 hommes et femmes se rassembla dans la chapelle Saint-Julien faisant partie de l'hôpital médiéval de l'Hôtel-Dieu de Southampton pour y célébrer la Cène selon le rite réformé. Ce fut le premier service de la nouvelle église réformée de langue française établie à Southampton. Les noms de ceux qui reçurent le sacrement furent soigneusement enregistrés.

La conservation du registre de l'église française à partir du début de la communauté a fourni une unique chance d'analyse des origines des immigrants et d'établir leurs raisons pour s'établir à Southampton.

Les noms de 166 immigrants furent enregistrés dans le Registre entre le 21 décembre 1567 au 2 janvier 1569, et l'origine de 66% d'entre eux peut-être solidement établie. La majorité venait du sud des Pays-Bas : Anvers (7), la région d'Armentières (10), Bruges (1), Liège (1), Tournai (13) et Valenciennes (51).

Les réfugiés se rencontraient pour écouter les prédications dans la chapelle St-Julien à l'Hôtel-Dieu et tous les trimestres y célébraient la Cène. Le premier pasteur de la communauté, Walerand Thevelin, était originaire de Frelinghien sur la Lys, près d'Armentières et avait été prédicateur laïque à Tourcoing pendant les troubles de 1566.

Noms de ceux qui ont fait profession de leur foi et admis à la Cène le 21 décembre 1567
Guillaume Copin, sa femme (Wauldrue Sohier), Jehan Copin son fils, Francois le Becq son beaufrere, et Marie le Febure sa servante
Jehan le Mesureur, sa femme, Marie le Mesureur et Katherine le Mesureur ses filles, Nicolas Dorville son neveu et Andrue Dargoville sa servante
Jehan de Beaulieu, sa femme (Sara van Hoven), Pierre de Beaulieu son frere, et Nicole sa servante
Augustin de Beaulieu, sa femme (Marie Sohier), et sa servante Josine
Rolant Rignon, sa femme (Barbe de Beaulieu) et Michelle Malart sa servante Le vesve de Vincent de Beaulieu (Wauldrue Malapert)
Mathieu Sohier, sa femme (Catherine Resteau), Jehan Sohier son frere, et Katherine Michelle sa servante.
Anthoine Jurion, sa femme, et sa servante le marie et Pierre Barbet
Jehan de Fresquiere et sa femme
Matuette Jehannebus
Adrien Vant Pous et Jehan son fils
Marc le Blanc, sa femme, sa nièce (Anne le Blancq)
Bon Rapereille et sa femme
Jacques le Clerc et sa femme
Achilles le Vasseur et sa femme
Bastien Lamoureux et sa femme (Martine)
Aymeri Durant et sa femme (Jeanne Turot)
Gille Seulin et sa femme (Cicille Sariette)
François Cruel, sa femme et son fils
Rollant Petit, sa femme Gabriel Petit son fils et Nicas Petit son neveu
Paul le Febure, sa femme et gille du Mortier
Pasque Gosseau et sa femme
Germain Hanon et sa femme
Jehan de Bavi
Jehan Couvreur
Jehan de Haut Pa
Francois Boucherie
Jehan de Preux
Jehan de Fresne
Jehan Castelain
Charles de Callonne, fils de Louys
La femme de Jehan le Mere
Pierre Broquet
Josse de Lebernerie
Henricus Lems, de Bruges, médecin

Le tiers environ des immigrants venait de Valenciennes. Ce groupe comprenait aussi ceux qui devaient être les membres les plus importants de la communauté durant les vingt premières années de son histoire : Mathieu Sohier, Arnould le Clercq et Jean de Beaulieu.
Au moins 26 des 51 personnes qui venaient de Valenciennes provenaient de deux familles : les Sohier et leur parent les de Beaulieu. Six personnes étaient décrites comme serviteurs de ces familles.
Mathieu Sohier et son frère Jehan furent parmi ceux présent à la première célébration de la Cène tenue en décembre 1567. Dans la congrégation étaient leur soeur Wauldrue Sohier avec son mari Guillaume Coppin et sa famille, son cousin Jehan le Mesureur et sa famille, et aussi Arnould le Clercq (autre cousin de Mathieu Sohier) avec sa famille. La nièce de Mathieu Sohier, Catherine Desplus, et sa mère Jehanne de Caignoncle se joignirent aussi à l'Eglise durant les douze premiers mois de son établissement.
Ses frères Pierre et Claude Sohier devinrent tous deux membres de l'église réformée française de Londres pendant que Cornille Sohier et sa soeur Marie Sohier avec son mari Christophe de Faloise, s'établirent à Rye.

Les Sohier étaient une famille prospère de Valenciennes menée par Mathieu Sohier père et sa femme Jehanne de Caignoncle. Bien que Mathieu Sohier se décrit lui-même comme un marchand, il avait commencé à investir dans la campagne. Son testament, rédigé en 1557, se rapporte à des droits seigneuriaux et de propriétés dans la seigneurie de Bailloeil et au fief de Haussy aussi bien que sur des propriétés rurales. En 1561, Mathieu Sohier est domicilié à Haussy et tient la labeure de 2 kruwes (charrues). Ces intérêts apparaissent plus tard dans les enregistrements du Conseil des Troubles. La famille possédait aussi un intérêt limité dans les rentes publiques émises par la ville de Valenciennes bien qu'elles se trouvaient être un investissement moins lucratif que le commerce et de sorte n'attiraient pas beaucoup de marchands. De tels investissements dans des seigneuries, terres et rentes ne fournissaient pas seulement un retour financier mais étaient aussi la route ouverte pour un possible avancement social.
Cependant les possessions de Sohier ne correspondaient pas à celles appartenant aux riches marchands calvinistes tels que Vincent Resteau et au riche marchand de vin Michel Herlin, dont les propriétés et intérêts étaient répartis à travers le Hainaut.
Les Sohier étaient une parenté éloignée de l'ancienne famille Sohier de Vermandois de Mons qui avait tenu plusieurs positions importantes à Valenciennes dans le passé. Mathieu Sohier se maria à Jehanne de Caignoncle, la belle-soeur de Jacques le Clercq et la soeur de Nicolas de Caignoncle, un autre important marchand de Valenciennes. Leurs enfants firent aussi de mariages avantageux, certains dans des familles échevinales : Pierre Sohier se maria à Anne de la Fontaine dit Wicart ; Mathieu se maria à Catherine Resteau fille de François Resteau et de Anne Godin.
Le statut économique de la famille et les alliances matrimoniales les placèrent par conséquent parmi l'élite mercantiliste de Valenciennes.

Tandis que le gouvernement de la ville restait dans les mains d'une oligarchie de familles échevinales qui dominait le Magistrat, les familles de marchands dirigeaient le Conseil Particulier qui servait d'important auxiliaire au Magistrat. Certaines familles bourgeoises telles les Caignoncle et les le Mesureur servirent durant de courtes périodes au Magistrat mais d'autres riches marchands comme Michel Herlin et Vincent Resteau en furent exclues.
Les Sohier furent probablement représentés au Conseil Particulier (Valenciennes avait deux conseils : l'un dit Conseil Particulier, composé de 25 personnes était l'auxiliaire du Magistrat. L'autre, dit le Grand Conseil, était composé de 200 personnes, les séances en étaient publiques, tandis que celles du Conseil Particulier restaient secrètes). Bien qu'il ne semble exister aucunes listes de ceux qui servaient au Conseil Particulier, les membres habituellement comprenaient les connétables des milices bourgeoises.
Arnoul le Clercq et Guillaume Coppin furent tous deux connétables en 1553 tandis que Jean Le Mesureur et Jehan Sohier furent parmi ceux nommés pour servir comme capitaine de la Garde Municipale à l'exécution ratée des "Maubruslez" en 1562.
Malgré leur succès économique et statut social, les Sohier n'assumaient pas un rôle proéminent à Valenciennes.
Ne possédant pas la richesse des Herlin et du prestige de familles établies comme les Le Boucq, ils n'apparaissent pas fréquemment dans la vie politique de la citée. La famille pouvait aussi avoir été "disqualifiée" à cause de soupçons au sujet de leur orthodoxie religieuse. En 1544, Jacques Sohier, probablement le neveu de Mathieu Sohier, fut arrêté en compagnie de "dogmatiseurs". C'est cependant la plus forte évidence de lier les Sohier avec l'hérésie à Valenciennes.
Le protestantisme de la famille Sohier n'était pas nouveau. Il daterait de 1550 et probablement de 1540. En septembre 1544, Pierre Brully fut envoyé dans le sud des Pays-Bas par Calvin en réponse à une demande d’une délégation de l’église Reformée à Tournai et Valenciennes. Les réformés de Tournais avaient sentis la nécessité d’avoir auprès d’eux un ministre versé dans la science théologique. Ils le demandèrent à Martin Bucer, qui dirigeait à cette époque l’église de Strasbourg (Ministre protestant à Strasbourg, Martin Bucer naquit à Schlestadt en 1491. En 1506, il prit l’habit religieux de l’ordre des Dominicains, mais la lecture de plusieurs ouvrages de Luther le fit changer de sentiment et de religion ; en 1530 cependant il préféra la doctrine de Zwingle à celle de Luther. Il enseigna la théologie pendant vingt ans à Strasbourg, y fut ministre, mais sollicité par Crammer, archevêque anglican de Cantorbéry, il passa en Angleterre où il mourut le 27 février 1551. De luthérienne qu ‘elle avait été dans le principe, la Réforme devint bientôt à Tournai calviniste). Bucer désigna Pierre Brully.
Avant son arrestation en novembre 1544, Brully prêcha à Tournai, Valenciennes, Arras, Douai et Lille et commença à organiser une église clandestine à l’intérieur de Valenciennes. Il eut aussi une rencontre avec Anthoine Pocquet. A la suite de la prédication de Brully, l’empereur Charles V établi une commission spéciale pour traiter avec l’hérésie. Parmi ceux qui furent arrêtés était Jacques Sohier qui affirma qu’il avait été confondu pour Jérôme Pocquet, le frère d’Anthoine Pocquet.
Pierre Brully était un ancien dominicain du couvent de Metz né à Mercy-le-Haut. En 1540 ou début 1541, il était passé à la Réforme et était venu vivre à Strasbourg dans l’intimité de Calvin. Quand le grand réformateur était retourné à Genève (13 septembre 1541), Brully lui avait succédé à la tête de l’Eglise française de Strasbourg.

L’église calviniste se développa en force, malgré la sévère répression après l’exécution de Brully le 19 février 1545 : un noyau dur de sympathisants calvinistes fut établi et les marchands calvinistes tels que Michel Herlin eurent leurs enfants éduqués à Genève.
La survivance du Calvinisme devait beaucoup à l’aversion des autorités de Valenciennes pour les sanctions et placards contre l’hérésie. En particulier, le droit d’une commission spéciale menée par Tisnacq, pour juger les cas d’hérésie à la suite des prédications de Brully, s’opposa aux privilèges juridictionels de la ville alors que la torture des hérétiques et la confiscation de propriétés étaient contraire aux privilèges des citoyens de Valenciennes.

Les villes wallonnes de Valenciennes et Tournai furent au premier plan dans le développement du calvinisme aux Pays-Bas. La révolte de Valenciennes et Tournai contre Philippe II d'Espagne et la régente Marguerite de Parme durant l'hiver 1566-67, fut le point culminant de ce qui est appelé la première révolte des Pays-Bas. L'exécution en 1549 de Michelle de Caignoncle, veuve du bourgeois Jacques le Clercq, et la confiscation de ses biens provoquèrent la consternation parmi l'élite bourgeoise de Valenciennes aussi bien chez les pauvres qui auraient bénéficiés de sa charité. Michelle de Caignoncle était la soeur de Jehanne de Caignoncle marié à Mathieu Sohier. Elle fut le seul membre d'une famille de marchands a être exécuté à Valenciennes durant le règne de Charles V.

Après l’arrestation des deux diacres Simon Fauveau et Philippe Maillart, les magistrats se trouvèrent dans une situation très déplaisante. Après des retards répétés, les magistrats convinrent de l’exécution des deux diacres, mais nommèrent aussi pour maintenir l’ordre une Garde Municipale composée à égalité de catholiques et de suspects de calvinisme. Parmi ceux qui avaient été désignés se trouvèrent Jean le Mesureur et un autre futur réfugié Jehan Sohier. Toutefois, les deux diacres calvinistes furent délivrés par la foule dans ce qui allait être connu comme la « journée des Maubrulez ».
L’affaire des Maubrulez (mal brûlés) fut l’acte le plus audacieux à mettre à l’actif des calvinistes à Valenciennes. La Régente réclama l’application des « placards » et entreprit d’exiger que les futurs titulaires de charges officielles soient de vrais catholiques ; en dépit de ses instructions, des suspects de calvinisme comme Michel Herlin, Jehan le Mesureur et Guillaume Coppin furent nommés au Magistrat. Les calvinistes continuèrent à défier les autorités en organisant des services en plein air au printemps de 1563. Le consistoire calviniste, lequel comprenait Jehan le Mesureur et Jehan le Thieullier (cousin de Jehanne de Caignoncle), joua un rôle important durant la rébellion de Valenciennes. Bien que les affaires n’étaient pas dirigées par le consistoire durant la rébellion, les membres du consistoire exerçaient une forte influence sur les décisions du « Conseil extraordinaire ».
Le Consistoire des huguenots, était composé de : 1° Michel Herlin, l’un des plus riches négociants de la ville ; 2° François Patou, riche mercier ; 3° Jean le Thieullier, fabricant de sayette ; 4° Pierre Delrue, négociant instruit, capable de prêcher en l’absence des ministres ; 5° Mathieu Delehaye, commerçant.

Le gouvernement central réagit durement et imposa en mai 1563 la présence d’une garnison à Valenciennes ; en septembre, un placard infligea des peines très dures aux suspects de calvinisme.
En 1566, les prêches qui avaient été suspendus depuis 1563 recommencèrent sur une plus grande échelle qu’auparavant autour de Valenciennes et de Tournai. L’église calviniste de Valenciennes avait nommé Pérégrin de la Grange et Guy de Bray comme ministres. Sur l’avis du consistoire d’Anvers, la prédication publique commença en juin 1566 autour de Valenciennes.
Guy de Bray, prédicateur calviniste naquit à Mons vers 1523 et mourut à Valenciennes le 31 mai 1567. Il fut un des plus célèbres pasteurs de l'Eglise réformée aux Pays-Bas.
Les espions du gouvernement remarquèrent aux prêches la présence de calvinistes importants tels que Michel Herlin, Vincent Resteau aussi bien que Guillaume Coppin et des membres de sa famille.
Coppin, plus tard réfugié à Southampton, était un membre du consistoire de Valenciennes. Le 11 juillet 1566, la fille de Jehan Coppin, sa grand mère et servante, de même que la fille de Guillaume Coppin furent signalées. La femme de Jehan Coppin, Peronne Doige, fut signalée le 15 juillet et au plus grand prêche du 17 juillet la fille de Jehan Coppin fut de nouveau signalée avec sa servante de même que la femme de Guillaume Coppin (Waudru Sohier). Guillaume Coppin assista à un autre « prêche ».

La vague des prêches en plein air fit fureur à la fureur iconoclaste, avec la destruction des images religieuses. Le 24 août 1566, jour de la Saint Barthélemy, les églises valenciennoises sont saccagées. Des bandes d’hommes armés et embâtonnés y abattent les crucifix, les images des saints, les jubés, les orgues, les autels, les vitraux et les fonts baptismaux.
Valenciennes se rendit aux forces gouvernementales le 23 mars 1567. A la suite de la reddition de la ville, les principaux participants à la rébellion, y compris Jean le Mesureur, furent arrêtés et interrogés. Les exécutions commencèrent le 31 mai 1567 avec les pendaisons des deux pasteurs Pérégrin de la Grange et Guy de Bray et et la décapitation de Michel Herlin (père et fils) ainsi que de Jean Mathieu.
Jehan le Thieullier fut décapité le 28 mars 1568.
Jehan le Mesureur réussit à s’échapper de la maison de Michel Herlin où il avait été emprisonné et se réfugia à Southampton, malgré la récompense offerte pour sa capture. Le véritable châtiment ne s’abat sur la ville rebelle qu’après l’arrivée du duc d’Albe aux Pays-Bas et la création à Bruxelles du Conseil des Troubles pour superviser méthodiquement la répression. La nuit du mardi gras 1568 on arrête 34 bourgeois et les exécutions massives commencent. Pendant près de deux ans, il ne se passe pas à Valenciennes une semaine sans qu’on y exécute quelqu’un. Le drame culmine en janvier 1569 : du 17 au 20 janvier, 57 personnes sont mises à mort.
Jehan le Mesureur et Guillaume Coppin furent parmi les 21 « notables et riches bourgeois » membres du consistoire a être bannis de Valenciennes le 6 mars 1568 avec la confiscation de leur propriété. Jehan le Mesureur perdit da maison, qui était sur la place du marché de Valenciennes, mais après la rébellion le Conseil des Troubles dépensa 32 livres tournois 8 s. 3 d. en réparation du bâtiment.
Les biens mobiliers de Guillaume Coppin furent vendus pour 83 livres tournois, 2 s. tandis que les biens de Jehan le Thieullier réalisèrent 527 livres tournois 3 s. 3 d.

A Valenciennes ainsi qu’à Tournai, où de semblables progrès du protestantisme avaient eu lieu, la répression aboutit à une émigration soutenue. Londres, où les églises étrangères avaient été rétablies lors de l’accession au trône d’Elisabeth Ière et de la restauration du protestantisme, fournit un refuge et les noms d’habitants de Valenciennes y apparaissent dans les registres du Consistoire de l’Eglise Française à partir de 1560.
Beaucoup de ceux qui s’étaient enfuis de Valenciennes pendant les troubles, furent sommés de se présenter devant le Conseil des Troubles afin d’expliquer leur absence de la ville. Ceux qui omirent de se présenter après trois sommations, furent bannis de la ville et leurs biens furent confisqués. Furent ainsi bannis, des hommes qui avaient joué un rôle de premier plan dans l’Eglise calviniste, comme Guillaume Coppin et Jehan le Mesureur, mais aussi d’autres réfugiés à Southampton dont le rôle durant les troubles est inconnu et parmi lesquels on trouve Bon Rapreiller et Gille Seulin.
Ces hommes ne s’enfuirent pas seuls de Valenciennes, leurs familles et parfois leurs serviteurs les accompagnèrent.
Le Conseil des Troubles le 6 décembre 1668 banni et confisqua les biens de 212 personnes qui ne s’étaient pas présentées en dépit d’avoir été citées à comparaître à trois sommations. Parmi celles ci sur la liste se trouvaient Pierre Sohier, Jean Resteau, Jehan Coppin, Michel de Faloise (beau-frère de Marie Sohier).
Les archives du Conseil des Troubles renferment aussi des enregistrements de propriétés qui furent confisquées à Valenciennes qui appartenaient à Anne le Mesureur (épouse de Philippe Dorville) et Waudru Malapert (épouse de Vincent de Beaulieu).

Le samedi 6 mars 1568 furent bannis à toujours de la ville et banlieue de Valenciennes plusieurs notables et riches bourgeois et leurs biens confisqués dont les noms s’ensuivent :
Simon Logier, du Consistoire
François Voisin, du Conseil
George le Blon
Pierre Mustellier
Jacques de Wallers
Jacques Joffroy
Jacques Jellée, du Consistoire
Jean Wargin
Antoine Mornart
Jean le Mesureur
Philippe Mucher
Jacques Bizou, du Consistoire
Guillaume Coppin
Afflegain Falloize
Guillaume de Roizin
Jacques le Clercq
Jean de La Tour
Mathieu Campion
Géry le Josne, tasneur
Pierre Druart, pottier
Estiennes Gernez, sayeteur

Le lundi 29 mars 1568 furent décapités quatre bourgeois de Valenciennes pour le fait des troubles hérésies, savoir :
1° François Patou, mercier, demeurant au marteau d’or, membre du consistoire
2° Jean Tieullier, marchand de saye, homme riche et de bonne réputation, âgé d’environ 50 ans
3° Pierre de la Rue, du Consistoire, cirier
4° Mathieu de le Haye, faiseur de bas, agé d’environ 35 ans

S’ensuit les 212 personnes, bourgeois de Valenciennes, ajournées par le duc d’Albe, gouverneur général des Pays-Bas, pour comparaître pardevant lui le 4 octobre 1568 ; ce fut fait et publié audit Valenciennes à la chayère dorée, le samedi 6 septembre 1568, en autres :
Nicolas Vivien, échevin
Vincent Resteau, massart (trésorier, receveur de la ville)
Andrien Sanglier, marchand
Jean Clauwet
Jacques Clauwet, son frère
Michel de Falloye
Jean Coppin, parmentier
Jean Resteau, marchand
Pierre Sohier, marchand
Bon Rapareilliée, mercier

Anvers procura à beaucoup un important refuge parce que, comme disait un calviniste flamand « c’est un monde en soi ; vous pouvez rester caché sans avoir à vous enfuir de là ». Les magistrats de la ville n’étaient pas prêts à compromettre la position d’Anvers dans le commerce international ou à s’aliéner les marchands étrangers par une application inflexible des édits. Les liens commerciaux étroits entre Valenciennes et Anvers expliquent que dans certains cas, il pourrait être difficile de distinguer les raisons religieuses des raisons économiques dans l‘émigration venue de Valenciennes. Les Sohier et de Beaulieu furent activement engagés dans le commerce outre-mer à Anvers et firent partie de la communauté marchande de la citée.
Le gouvernement utilisait des espions pour identifier les principaux calvinistes à Anvers. Un de ceux-ci était un marchand, Philippe Dauxy, qui envoya une liste à Marguerite de Parme des principaux calvinistes des villes wallonnes. Sur la liste des calvinistes de Valenciennes il identifia : Jehan de Beaulieu, beau-fils de Jan van Hof, et Nicolas de Beaulieu, beau-fils du sieur Caerle Cocquil, et de tous leurs frères compagnons.
15 marchands valenciennois devinrent citoyens d’Anvers entre 1542 et 1566, comparait avec seulement un en 1533 et huit marchands entre 1567 et 1585. Jean de Beaulieu de Valenciennes devint citoyen d’Anvers au début de 1558. En 1564, Cornille Sohier se maria dans cette ville avec Marie, la fille de François Coquiel dit le Merchier, en présence de Jehanne de Caignoncle, Mathieu et Pierre Sohier.
François Merchier (fils de Caron Cocquiel, dit le Merchier et de Jehenne Havet) était un calviniste proéminent de Tournai, qui avait cherché asile à Rouen mais retourna à Tournai en 1562 ou il émigra alors à Anvers. Un autre calviniste tournaisien, témoin au contrat de mariage, fut Denis des Maistres.

La reine Elisabeth Ier d’Angleterre reçut un appel décrivant en termes dramatiques le sort du mouvement réformé en 1566. Les réfugiés se décrivaient ainsi : « ceulx lesquels estantz chassez et banniz de leurs biens et pays naturel pour point voloir communicquer ni consentir aux ydolateries cherchent lieu seur de refuge en pays estranger ». La reine et le Conseil Privé dirigèrent vers Southampton les réfugiés. Ceux-ci proposaient de produire dans le port les « sayes d’Honscoten, draps d’armentieres et convertois d’Espaigne, desquels sortes de marchandises jusques a present la manifacture ne s’est faicte ny cognue ». L’introduction de techniques industrielles si nouvelles par les réfugiés fut bien accueillie par le Premier ministre de la reine Elisabeth. Les négociations entre le gouvernement central et les réfugiés sur les conditions d’installation de ces derniers à Southampton durèrent plusieurs mois.
Jehan de Beaulieu prit une part active dans les négociations sur les tarifs douaniers que les réfugiés devraient payer et il fut décidé que les marchandises fabriquées selon les techniques nouvelles seraient exemptes de droits.
Le valenciennois Jehan de Beaulieu fut mêlé à une transaction de marchandises que les Gueux de Mer avaient saisies et ravitailla leurs bateaux en provisions. Il fournit aussi à la flotte des Gueux de Mer un important appuis financier ; on a même prétendu que les 100 livres sterling prêtées par Beaulieu en octobre 1571, rendirent possible la prise de Brielle en avril 1572. Les activités de Beaulieu nous montrent que certains réfugiés étaient relativement riches ; Malgré la perte de ses propriétés dans le Hainaut, Mathieu Sohier semble avoir pu s’enfuir des Pays-Bas Méridionaux avec la plus grande partie de ses biens meubles.
Mathieu Sohier et plusieurs autres marchands exilés participèrent aussi au commerce de Southampton. Ils importaient à Southampton du vin d’Andalousie, de la Rochelle et de Bordeaux aussi bien que du sel, du houblon, des toiles, de la poix et du goudron, tandis qu’ils exportaient des draps de serge sur le continent.
En 1576 Richard Etuer affréta la « Dove of Hampton » avec Mathieu Sohier et Arnoul le Clercq pour un voyage vers la Rochelle et Bordeaux, avec retour vers St Malo ou Southampton, via Guernesey. Ces marchands affrétèrent le même bateau pour un voyage semblable deux ans plus tard, avec des marchandises à prendre pour Dunkerque, Ostende ou Middelburg en Zélande.

La première référence aux marchands réfugiés apparaît dans les petits comptes de clients en mars 1568 lorsque Mathieu Sohier paie 2 d sur un baril d’huile ; Jean de Beaulieu importa des barils de beurre, savon, huile de colza, un paquet de tissu de Hollande, deux ballots de cardes.
En 1577, Mathieu Sohier affréta le « Dove of Hampton » pour un voyage à Lisbonne. En 1575-77 le Clercq importa à Southampton un tonneau de « poix » comparait avec les 120 tonneaux et 16 barriques de poix importés d’Andalousie par les marchands de Southampton. En 1568-69 Mathieu Sohier importa 27 tonneaux de vin.
A côté du vin, ils importèrent des cargaisons de figues, raisins, gingembres, soufre, huile et sel espagnol et fer d’Andalousie, Ayamonte, Bilbao et St Sebastian.
Les exilés commerçaient également occasionnellement avec les îles atlantiques des Açores et des Canaries. En juin 1574, le « John of Hampton » retourna à Southampton avec 18 tonneaux de vin des Canaries pour Mathieu Sohier et Anthoine du Quesne. La principale marchandise importée des Açores était le pastel vert. En 1574 le « Angel of Poole » retourna avec 3 scores et 15 quintaux de pastel vert pour Arnoul le Clercq.
Cependant l‘élite des marchands de Southampton dominait aussi ce commerce et seules des quantités insignifiantes furent importées par les réfugiés. Les marchands réfugiés furent plus activement engagés dans le commerce de la ville avec le sud ouest de la France. Ce commerce attrayait seulement quelques-uns uns des plus riches marchands de Southampton. En 1575-76 par exemple le « Dove of Hampton » fit route de Southampton le 28 novembre 1575 pour Bordeaux, transportant du tissu, pour le Clercq, Sohier et Richard Etuer et retourna à Southampton à partir de la Rochelle le 28 février 1576 portant 30 weighs de sel marin et 3 tonneaux de vin de la Rochelle pour les marchands.
Le « Dove of Hampton », fit route avec un autre cargo pour les marchands, à la Rochelle le 9 avril 1576 et retourna à Southampton le 24 juillet 1576.
A une occasion il y eut une entreprise combinée entre les réfugiés et les marchands natifs de Southampton. Dans un contrat pour le « Flying Dove of Hampton » en février 1583, le tonnage du bateau était divisé entre Richard Goddard (25 tonnes), Peter Jouverain (12 tonnes), John Exton (5 tonnes), Alexander Pendry (5 tonnes), Mathieu Sohier (5 tonnes) et Arnoul le Clercq (15 tonnes).
Les réfugiés importaient seulement une quantité limitée de vin dans Southampton durant 1575-76, un simple 9.5 tonneaux de vin gascon comparait avec les 96 tonneaux de vin gascon importé par les marchands de Southampton. Le vin n’était pas la seule cargaison qui venait à Southampton du sud ouest de la France ; le sel était la principale importation pour les réfugiés.
En 1575-76, 320 weighs de sel de mer furent importés de la Rochelle à Southampton et ses agglomérations, comprenant une cargaison de 70 weighs importée par William Lounde de Yarmounth. Les réfugiés par conséquent comptabilisaient pour 12.6 % de sel de mer importé en comparaison avec les 54.3 % importés par les marchands de Southampton.
Les bateaux affrétés par le Clercq et Sohier ne retournèrent pas toujours à Southampton. En septembre 1576 Arnoul Le Clercq et Mathieu Sohier avec Richard Etuer affrétèrent le « Dove of Hampton » “for one viage from hence to Rochell and ther to tarrie sixe dayes and from thence to Burdeux ther to tarrie xvijj dayes to unlode & also to relode & c and from thence to tarrie at Guarnzie two rides to have awnswere of the merchants wheter he shall goe to St. Mallowes or Southampton ”.
En septembre 1578 les marchands affrétèrent de nouveau le « Dove of Hampton » à la Rochelle. Le bateau devait alors « to reterne within th’isle of wight for annswere whe they shall passe to Midlebroughe, Duncarke or Ostende in Flanders ». Le bateau retourna à Southampton de Middelburg le 29 décembre 1578. Les marchands affrétèrent le même bateau pour de semblables voyages en octobre 1579 et novembre 1580.
L’engagement de le Clercq et Sohier dans le commerce entre La Rochelle et Middelburg peut en fait avoir été une continuation de leurs intérêts avant les troubles. Middelburg était le principal entrepôt pour les vins étrangers aux Pays-Bas, en particulier ceux de l’ouest de la France. Ce commerce fut à l’origine tenu par les Rochelais, mais après 1553 le commerce de vin entre La Rochelle et les Pays Bas commença a être dominé par les marchands allemands. Ces marchands à partir de la Hollande avaient pris en possession l’importation des vins de Bordeaux.
Les réfugiés importaient des biens des Pays Bas probablement après que leurs cargos à partir de La Rochelle ou Bordeaux avaient été déchargés. Le « Dove of Hampton » fit route à Bordeaux mais retourna de Middelburg en 1578 avec 1,200 lb de garance pour Mathieu Sohier, 1,200 lb pour Richard Etuer et 2,400 lb de garance et 4,000 lb de houblon pour Arnoul le Clercq. Le bateau fit route à La Rochelle le 27 janvier 1579 et retourna en avril de Middelburg avec une cargaison de 3,000 lb de houblon, 1,400 lb de garance, 3 lasts de poix et goudron et 2 lasts de savon flamand pour Arnoul le Clercq.
Dans un contrat daté de janvier 1577, le clercq loua le « Grey Falcon of London » pour transférer 171 « butts of wines of sheres cornmonlie called Secke’s » de Southampton à Middelburg lesquels devaient être fournis à Jasper Craiet.

Sources
1.
Registre des baptesmes, mariages et morts et jeusnes de leglise wallonne et des Isles de Jersey, Guernesey, Origny, et c etablie a Southampton, ed. H.M. Godfroy, Publications of the Huguenot Society, vol. IV, Lymington, 1890.

2.
Andrew Paul Spicer, The French-speaking Reformed community and their church in Southampton 1567-c1620.
Unpublished Ph. D thesis, University of Southampton, 1994

3.
C. Paillard, Notes sur Michelle de Caignoncle. In : Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français. 1877, XXVI, pp.554-563

4.
C. Paillard, Histoire des Troubles Religieux de Valenciennes 1560-67. Bruxelles, 1874, 4 vol.

5.
Gérard Moreau, Histoire du Protestantisme à Tournai jusque la veille de la Révolution des Pays-Bas. Paris, 1962. Société d’Edition « Les Belles Lettres ». Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège. Fascicule CLXVII.

6.
P.J. Le Boucq, Histoire des Troubles advenues à Valenciennes à cause des hérésies 1562-1579. Bruxelles, ed. A.P.L. de Rombaulx de Soumoy, 1864

7.
Geoffrey Parker, The Dutch Revolt. Cornell University Press, 1977. 327 p.

8.
Andrew Paul Spicer, Valenciennes et Southampton : un nouvel éclairage sur leurs liens au XVIe siècle. Valenciennes, Valentiana, décembre 1992, n° 10, pp.33-44

9.
Andrew Paul Spicer, The Sohiers of Valenciennes and Southampton : a Walloon family in the diaspora. Proceedings of the Huguenot Society of London. Vol.XXV (1990). Pp.156-166

10. Paul Beuzart, La répression à Valenciennes après les troubles religieux de 1566. Paris, Editions « Je sers », 1930, 148p.

11. A.D.N. Archives Départementales du Nord à Lille
B 12698
B 12700, Valenciennes. 1568. Liste des confiscations. 54 pages recto-verso. Liste des biens saisis à cause des troubles sur des habitants de Valenciennes situés ans les chatellenies d’Ath, Braine le Comte, bailliage de Hall, Enghien, Lessines et Flobecq.
B 12701
B 12702, Compte de Jean Nolin, receveur des confiscations à Valenciennes à cause des troubles
B 12704
B 20115, n° 22472 : Partage des biens de Mathieu Sohier et de Jeanne de Caignoncle, 4.7bre 1557

12.
C. Rahlenbeck, Les chanteries de Valenciennes. Episodes de l’histoire du seizième siècle. Bulletin de la Commission de l’Histoire des Eglises Wallonnes, Ist Series, III (1888), pp.124-5

13.
G.W. Clark, An Urban Study during the Revolt of the Netherlands : Valenciennes, 1540-70.
Unpublished Ph. D. thesis, Columbia University, 1972

14.
L.B. Ellis, The Lethieullier family. Proceedings of the Huguenot Society of London, Vol. XIX (1954), pp.60-61

15
Recueil du Besoigné des Commissaires du Roy notre sire à Valenciennes sur le faict des troubles et rebellion advenue en icelle ville
A.G.R., papiers d’Etat et de l’Audience, n° 536

16
Adolphe Hocquet, Tournai et le Tournaisis au XVIe siècle au point de vue politique et social. Bruxelles, Hayez, 1906. 418p. A.E.T : Bibl. B133